P. Qu’est-ce qui t’a amenée à l’écriture et à la création?
A. Je crois que mon amour pour l'écriture a commencé dans mon enfance. Ma mère a eu une grande influence sur moi. Avant de me coucher, elle inventait ses propres histoires plutôt que de m’en lire dans un livre. Elle m'encourageait ensuite à créer ma propre histoire et à la lui raconter. Ce rituel m'a permis d'exercer mon imagination et de développer ma propre voix. P. Tu as déjà publié des textes de création dans des revues littéraires, ainsi qu’un « chapbook » (une publication courte), mais ton premier livre sort prochainement. Comment est-ce que le projet a commencé? A. Mon recueil de nouvelles à paraître, Sardines, est le volet création de mon doctorat en écriture créative. Le programme de doctorat en recherche-création comporte une section de recherche approfondie sur un thème, suivie d’une création liée au sujet de recherche. Ma thèse analysait les représentations de la culpabilité dans le recueil de nouvelles The Magic Barrel (1958) de l’écrivain Bernard Malamud (1914-1986), à partir des travaux du philosophe Martin Buber (1878-1965), en particulier son article “Guilt and Guilt Feelings” (1957). Sardines explore en parallèle les thèmes de l’isolement et de la culpabilité non résolue, mettant en scène des personnages hantés par une culpabilité existentielle souvent incarnée par un « autre » ou un « visiteur » persistant. P. Tout travail de création comporte des éléments de recherche. Dans le cas de ton recueil de nouvelles, comment est-ce que cela se présente concrètement? A. Je voulais explorer le thème de la culpabilité existentielle non résolue, tel qu'il est présenté par Buber. En plus de son article-phare sur la question, “Guilt and Guilt Feelings”, j’ai sollicité les autres pans de sa philosophie, comme ses essais philosophiques I-and-Thou (1923) et Between Man and Man (1929-1939). Mon objectif était de comprendre comment la culpabilité non résolue influence la relation « I-Thou », qui est, en bref, la pensée de Buber concernant l’importance des connexions authentiques et significatives avec les autres. Cette exploration m’a permis de trouver la manière la plus efficace de présenter ces idées philosophiques dans le cadre de ma propre création. Dans Sardines, les personnages sont confrontés à leur culpabilité, qui reste souvent irrésolue en raison de leur incapacité à y remédier simultanément dans les trois sphères de la culpabilité (judiciaire, conscience et foi) proposées par Buber. Cela souligne l’impact de la culpabilité non résolue sur la formation de relations « IThou » significatives. P. Comment est-ce que la partie recherche et la partie création s’alimentent l’une l’autre? À mon avis, toute fiction nécessite un certain niveau de recherche. En plus de mettre mes personnages en situation de crise existentielle pour explorer le côté humain de certains concepts philosophiques, comme j’ai fait dans Sardines, il peut s’agir de quelque chose d’aussi banal que de rechercher le prix des produits alimentaires pour une histoire se déroulant au début des années 1930. Il est aussi essentiel de bien comprendre le contexte social et historique d’une œuvre de fiction. Je me souviens avoir passé des jours à faire des recherches sur les vieux radiateurs à gaz afin de pouvoir créer une représentation authentique de leur fonctionnement dans l’une de mes histoires. A. Quels sont les défis de la recherche-création? Nous aimons considérer la création littéraire comme un acte d’inspiration pure, alors que les aspects moins romantiques tels que la recherche, la prise de notes et les révisions sans fin ont tendance à être négligés. Je pense qu’en tant qu’écrivain, il est souvent tentant d’ignorer la recherche et de se plonger directement dans le processus d’écriture. Cependant, cela peut donner lieu à une fiction qui manque de profondeur. Si nous voulons refléter l’humanité à travers notre fiction, il est important de dresser un portrait réaliste et réfléchi de toute la complexité ce que signifie être humain. |